Mauvaise interprétation : l'officier français tutoie (et sur quel ton !) le journaliste togolais, qui n'hausse (relativement) le ton que contre un de ses compatriotes lui demandant d'obtempérer. Face à l'officier français, il reste très humble, affectant une sorte de soumission, s'engageant à obtempérer (plus tard) et à détruire la photo (plus tard). On comprend qu'il n'a pas l'intention de le faire. C'est le ton qui est remarquable... et qui n'a rien d'extraordinaire quand on a assisté à ce genre de scènes, plus ou moins banales en Afrique ! Non pas quand au fait précis, à l'exigence de l'officier, mais quant au type de la relation, qui dans le film transpire de chaque geste et regard des soldats togolais... face à un supérieur.
C'est à ce point que la sanction contre l'officier pris "la main dans le sac", à savoir filmé, tout simplement, est un écran de fumée ! "Très mal interprété", dit-il, parlant de son attitude. C'est que la
Une attitude, un type de relation réciproque, car toute relation est réciproque, qui est en passe de changer enfin, suite aux "mauvaises interprétations" qui s'imposent au regard d'un tel film... Des attitudes dont les racines plongent en des temps immémoriaux. C'est ce qui est en passe d'être dépassé, au-delà de la soumission — hiérarchique ! — comme du ressentiment ou des révoltes sporadiques, qui sont l'expression inversée de cette relation hiérarchique depuis si longtemps intégrée qu'elle en est devenue réflexe !
Une citation connue d'Ibn Khaldun (1332-1406) offre un éclairage intéressant sur la naissance de l'idéologie raciste : "Les seuls peuples à accepter vraiment l'esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d'un degré inférieur d'humanité, leur place étant plus proche du stade de l'animal" (cité par Tidiane N'Diaye, L'éclipse des Dieux, Grandeur et désespérance des peuples noirs, Editions du Rocher/Le Serpent à plumes, mars 2006. Cf. ici).
On est à l'avant veille des grandes déportations esclavagistes débutant fin-XVe siècle. Ibn Khaldun est musulman, au sens où — mutatis mutandis — Voltaire (qui fournit nombre de citations équivalentes sur le même sujet) est chrétien : son islam est d'un type assez... "modéré" ! Or l'islam comme religion prévoit qu'un musulman n'a, en principe, pas à être réduit, ou maintenu, en esclavage. Or les esclaves, en terre d'islam, et quelle que soit leur couleur de peau, sont couramment amenés à l'islam (parallèle — toujours mutatis mutandis — : le code noir de Louis XIV stipulait que les esclaves devaient être baptisés). Et leur descendance avec eux — exception faite de ceux qui subissaient la pratique de la castration, fréquente en islam, le fait est indéniable. Cf. ici. Mais cela ne concerne vraisemblablement pas tous les esclaves (ici aussi indépendamment de leur couleur) : il est peu vraisemblable que les esclaves "employés" comme force militaire, par exemple, aient été châtrés (sauf, sans doute, attachés militaires aux gynécées, par exemple)...
Esclaves passant à la religion des maîtres, voilà qui posait à ces derniers un problème... économique, contourné plus facilement par ceux dont la religion est complétée par un discours "sociologique", ou pré-"scientifique" (Ibn Khaldun comme Voltaire). Dans cette perspective, on légitime l'esclavage sur des bases... disons "anthropologiques". Certes, les esclaves peuvent être musulmans (ou chrétiens, ailleurs), ils n'en demeurent pas moins "autres", en l'occurrence "inférieurs" (puisqu'esclaves, pardi !) : cela vaut dans un premier temps pour les Slaves (d'où le nom esclave dans les langues occidentales). Précision de V.V., qui signale qu'on retrouve les racines du terme "Slave" "dans le mot russe slava (gloire) ou le mot slovo (mot). Cette dernière hypothèse est intéressante, car elle signifierait une identité liée à la langue. Elle peut être renforcée par le fait qu'en Russe, mais aussi en Polonais je crois, le mot Allemand (individu) se traduit par niemietski, qui peut se traduire par non-parlant alors qu'Allemagne se traduit par Guermania et l'adjectif allemand par guermanski (dissociation entre le pays, ce qui s'y rapporte et la population qui aurait été donc caractérisée par le fait qu'elle ne parle pas la même langue -que les slaves). En russe esclave se traduit par rab (travail = pabota)".
Outre les Slaves, les Africains subiront un regard dépréciatif collectif du même ordre. Lorsque les Slaves adoptent la religion de leurs maîtres, il finissent par ne plus vraiment s'en distinguer (physiquement). Les Africains, eux conservent leur pigmentation, qui devient la base d'une considération hiérarchique étayée par la couleur, à l'appui de développements comme les relectures du mythe de la malédiction de Cham (ici les trois "monothéismes" rivalisent en délire). Bref, il n'y a pas à ce point de spécificité musulmane, ni autre, mais une sorte de laïcisation (dont Ibn Khaldun est en quelque sorte annonciateur) à utilité économique par laquelle se met en place l'idéologie raciste visant à asseoir la domination des propriétaires d'esclaves. Une idéologie désormais abattue (pour l'Europe, disons depuis la victoire de 1945 contre l'Allemagne nazie), mais qui continue à porter ses fruits pourris...
Fruits pourris comme celui que trahit ce film forcément "très mal interprété"...
Cinquante ans après les indépendances, autre chose se dessine : c'est ce que dit sans ambiguïté le fait que ce film ait été relevé, ait circulé. Il n'y a pas si longtemps, il serait passé inaperçu, comme chose banale. Peut-être un des effets du "non" martelé par les patriotes ivoiriens en nov. 2004.
S'annoncent en filigrane des lendemains d'égalité...
Salut chef,
RépondreSupprimerBis Repetita est fluxé & mon nouveau (ultime) look voit le retour des commentaires.
@ bientôt
Merci pour le flux. Et ravi de voir apparaitre la possibilité de commenter ton tumblr... Avec son nouveau look très intéressant, autant que surprenant !
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