Quand vous entendez pinailler sur la traite et l’esclavage, tendez l’oreille, on parle de la Shoah... (Cf. Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, tendez l’oreille, on parle de vous »)
Confondre droit et histoire : c’est dans doute le problème de Pétré-Grenouilleau et de ceux qui lui tressent ses couronnes de martyr. Tout le monde se souvient de l’historien élevé au statut de porte-parole des contestataires de la Loi Taubira, votée à l’unanimité par la représentation parlementaire des deux chambres, loi passée sans aucune réserve du Conseil constitutionnel.
... Mais pas sans les réserves abondantes de ceux qui ont tressé à l’historien sa première couronne de martyr — un martyre, une « mise au pilori », particulièrement redoutable puisque consistant à être primé par un Sénat apparemment repentant d’avoir voté à l’unanimité une telle loi ! Avec dans la foulée d’autres prix littéraires...
Depuis le martyre de l’historien « mis au pilori » a franchi deux degrés supplémentaires, puisque d’ « historien inconnu au bataillon » (Marianne), il est devenu rapidement professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, puis dans la foulée inspecteur général de l'Éducation Nationale : terrible mise au pilori en effet !... Effet de réponse à une attaque en justice : non pas, pour son livre ! Ni non plus, contrairement à ce qu’on lit dans Marianne, parce qu’il a effectivement dit que « les traites ne sont pas des génocides » ! Mais parce que, contestant la loi Taubira, il a nié qu’il y ait eu là crime contre l’humanité ! Cela à l’encontre de tous les textes de l’époque de Schoelcher ! Et au prix d’une activation de la funeste concurrence des mémoires Shoah/Traites... Comme s’il y avait lieu à concurrence !
Et à présent, comme inspecteur général de l'Éducation Nationale, il refait parler de lui, non pas sur la relativisation des déportations esclavagistes atlantiques cette fois, mais sur l’enseignement de la Shoah, dont Catherine Pederzoli, professeur d’histoire géographie à Nancy — comment dire — abuserait ! Déjà le terme – « Shoah » !... Puis des voyages à Auschwitz... Faut pas exagérer !
« Concurrence des mémoires », quand tu nous tiens ! Et voilà les lois mémorielles à nouveau — comment dire (bis) —... mises au pilori... pour le coup ! Et voilà la constitutionalité de la loi... Gayssot, cette fois, mise en question !
Où l’on découvre, dans les forums notamment, qu’il serait temps de s’interroger sur ladite « concurrence des mémoires ». Si à l’époque on a souvent fait l’impasse sur les mises en question de l’ « œuvre » de P.-G., on découvre à présent que c’était dû, entre autre, à ce qu’on ne voulait pas gêner l’historien dévoilant (sic) la traite arabe. C’était donc ça : ceux qui ne savaient pas que la traite arabe n’était un secret pour personne étaient reconnaissants envers celui dont la couronne de martyr avait fait le vulgarisateur de ce qu’ils ignoraient jusque là ! (Sans compter l’ancrage dans les certitudes d’une « traite interne » sans aucune base textuelle antérieure au... XXe siècle !) Le tout au prix de l’ignorance du propos du livre et de son exaltation médiatique : relativiser la traite dont la loi Taubira venait de reconnaître qu’elle était, conformément à ce qu’en disait déjà la loi Schœlcher, un crime contre l’humanité.
Et quand on veut à tout prix s’enferrer où on s’est enferré !... On va même chercher pour cela appui chez Robert Badinter ! Selon Marianne, « sur France Info [le 14 octobre dernier], Robert Badinter s’opposait fermement aux lois mémorielles telles que la loi Gayssot : "Les lois mémorielles, que j’appelle des lois compassionnelles, sont faites pour panser des blessures et apaiser des douleurs (...) et n’ont pas leur place dans l’arsenal législatif. (...). La loi n’a pas à affirmer un fait historique, même s’il est indiscutable. Et j’ajoute que la Constitution ne le permet pas". »(Interview ici.)
Voilà qui demande quelque explication sur la signification de cette « ferme opposition » (que Me Badinter donnera sans doute dans le livre sur le sujet qu'il annonce dans la même interview. En attendant...) : Robert Badinter, en effet, était Président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995. La loi Gayssot a été votée le 13 juillet 1990 — sans que le Président du Conseil constitutionnel de l'époque, Robert Badinter himself, donc, n'y ait vu quelque difficulté constitutionnelle, non plus que les deux chambres parlementaires françaises d'alors !
Ajoutons que le dernier procès de Me Badinter, avant qu'il ne devienne ministre de la Justice en 1981, est celui contre le négationniste Robert Faurisson, qu'il a fait condamner pour avoir « manqué aux obligations de prudence, de circonspection objective et de neutralité intellectuelle qui s'imposent au chercheur qu'il veut être » et avoir « volontairement tronqué certains témoignages ». Cela avant la loi Gayssot qui date donc de 1990 et qui qualifie de délit le fait de contester l'existence d'un crime contre l'humanité jugé par le Tribunal militaire international de Nuremberg.
Depuis, donc, la loi Gayssot a été votée. Elle innove par son article 9, qui qualifie de délit la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité, définis dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de ce statut soit par une personne reconnue coupable de tels crimes. Cet article 9 introduit en effet dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse un article 24 bis dont voici le premier alinéa :
"Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale."
L'article 6 (c) - du statut du tribunal militaire de Nuremberg - définit ’Les Crimes contre l’Humanité’: "c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime".
Nous voilà obligés de constater que ce dont Me Badinter conteste la constitutionnalité, ce ne sont pas des lois comme la loi Gayssot, ou la loi Taubira (qui entrent bien dans le cadre des crimes contre l’humanité tels que rappelés à l’article 6c / Nuremberg), mais bien, tout simplement, l'idée que la loi puisse "affirmer un fait historique, même s’il est indiscutable" — et c'est effectivement bien ce qu'il dit ! Cela précisément n'a "pas de place dans l’arsenal législatif" ! Or cela, ni la loi Gayssot ni la loi Taubira ne le font ! (La loi sur les "bienfaits" de la colonisation, elle, a tenté — en vain — de le faire.)
Me Badinter ne se contredit donc pas, ni ne contredit son action de Président du Conseil constitutionnel qui ne s'est pas opposé à la loi Gayssot ! (Ce qui se confirme ici.)
Il semble donc abusif de sortir de son contexte cette citation prise sur France Info pour lui faire dire ce qui serait bien étrange de sa part ! En revanche, qu'il affirme que la loi n'a pas à dire l'Histoire, chacun peut en être d'accord !
Ne pas confondre l’Histoire (qui ne concerne effectivement pas directement une Assemblée législative) et le Droit (que par fonction, définit une Assemblée légistalive) !
King Crimson / Projekct X: Hat In The Middle -
Juhani Linnovaara peintre finlandaise
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